En deux mots, si on accepte l’idée que tout le monde ne connaît pas ton parcours, qui es-tu Olympe de G. ?
Je suis une femme blanche, cis, hétéro de 37 ans, qui a bossé dans la pub pendant plus de 10 ans, a réalisé des clips et qui a décidé en 2016 de se mettre à réaliser du porno. Mais attention, de la pornographie différente, car vue à travers mon regard de femme. J’ai réalisé quatre courts-métrages en 2017 qui ont été projetés dans pas mal de festivals, X ou pas X. En 2018, j’ai commencé à développer une autre facette de mon travail : le porno audio. Sans images, on propose un autre type de stimulation, plus consciente, plus imaginative, plus inclusive aussi. D’abord une œuvre expérimentale appelée Chambre 206, puis j’ai développé aux côtés de Lélé O et de Karl Kunt, les podcasts Voxxx.org et Coxxx.org qui totalisent aujourd’hui cinq millions d’écoutes. En parallèle, je me suis lancée dans mon premier long-métrage, Une dernière fois, avec Brigitte Lahaie sorti en juin dernier. Pour résumer tout ça et en deux mots, je propose du porno alternatif. Sous forme de pornographie et de pornophonie.
Réalisatrice de films pornographiques féministes. N’y aurait-il pas dichotomie ?
Entre les mots « porno » et « féministe » ? Non, je ne crois pas. On est assez à la traîne de ce côté de l’Atlantique sur l’inclusion des travailleuses du sexe dans les combats féministes. On croit encore voir des contradictions là où il n’y en a pas. Le travail du sexe n’est pas, par nature, une oppression des femmes au profit des hommes. Ou alors, dans notre société encore très inégalitaire en matière de genre, tout travail, quel qu’il soit, serait aussi oppressif pour les femmes au profit des hommes ! Pour ma part, en tant que femme, je crois que disposer comme je le souhaite de mon corps et représenter en images la liberté de mon sexe, c’est féministe. Avec mes films, je prends le contrôle sur la façon dont je veux exprimer ma sexualité, la façon dont je veux que mon désir et mon plaisir soient représentés. Mon film Une dernière fois raconte exactement cette liberté-là : l’histoire d’une femme qui veut disposer librement de son corps et décider quand jouir, quand mourir, sans rien se laisser dicter.
Dans ton film, on observe une pluralité dans le choix des performeurs. On sort du concept éculé du hardeur bâti comme un chêne et de la douce asservie. Une volonté de se rapprocher de la vraie vie ?
Je dirais plutôt qu’il s’agit de montrer les corps que l’on ne montre pas assez – que ce soit dans le porno ou au cinéma et à la TV – parce qu’ils ne rentrent pas dans la norme « blanc jeune mince valide ». Je veux montrer, entre autres, les corps gros, les corps âgés, les corps handicapés. Quand ces types de corps sont montrés dans les films érotiques ou pornographiques, c’est de manière fétichisée, on s’intéresse juste à cette caractéristique-là, on réduit un personnage à cette dimension de son physique. C’est pauvre comme approche. Pour ma part, j’avais envie de montrer leur beauté unique et de la filmer d’une façon qui touche les spectatrices et spectateurs.
Comment juges-tu cette industrie outrageusement misogyne ?
Je ne la juge pas parce qu’au final, je ne la connais pas. Je n’ai jamais bossé dans le X mainstream. Je ne fréquente même plus la communauté du porno alternatif, je suis une outsider ravie de l’être ; ça me donne une grande liberté et je peux naviguer entre porno alternatif et cinéma, œuvres sonores et installations. Depuis cette position extérieure, je me contente de constater que du côté de l’industrie mainstream et commerciale du X, les mêmes représentations continuent d’être mises en vedette, avec des corps standardisés, des pratiques qui invoquent des rapports de domination et de soumission. Et ça continue de me donner envie de proposer des alternatives. Montrer d’autres corps, d’autres pratiques, raconter d’autres histoires.
Qu’est-ce qu’un podcast érotique ?
voxxx.org (pour les personnes qui ont une vulve) et coxxx.org (pour les personnes qui ont un pénis) sont deux podcasts d’invitation à la masturbation en pleine conscience. Chaque épisode propose d’aborder son propre corps avec tendresse, respect, de l’écouter et de découvrir de nouvelles façons de lui faire plaisir. C’est une initiative qui rencontre beaucoup de succès ; s’émanciper des images pour créer ses propres scénarios, ses propres représentations, peut être très libérateur pour de nombreuses personnes.
Selon toi, doit-on réguler le X afin d’en évacuer les dérives ?
Le X a pris une part si importante dans la production d’images contemporaines et il est maintenant consommé si largement, qu’il fait bel et bien partie intégrante de notre culture, de nos représentations mentales intimes. J’estime donc que nous devrions pouvoir collectivement penser la façon dont il est produit et ce qu’il nous donne à voir. Annie Sprinkle écrivait que la solution au mauvais porno ce n’était pas plus de porno du tout, mais un meilleur porno. Je suis convaincue que c’est la ligne de conduite à suivre. Il faudrait que les initiatives vertueuses dans la production de X puissent être encouragées, soutenues financièrement. En France, le CNC ne devrait pas bannir tout projet visant à représenter le sexe, mais au contraire soutenir les personnes qui essaient de révolutionner cette production d’images. La Suède montre l’exemple en soutenant officiellement les réalisatrices de films sexuellement explicites engagés. Il y a des enjeux à soutenir la production d’images sexuelles respectueuses, des enjeux éducatifs notamment et d’égalité entre les genres.
J’ai lu que tu aspirais à du porno feel good ? À l’ère de Jacquie & Michel, c’est un brin audacieux non ?
Je pense qu’il est nécessaire de proposer du porno qui fasse se sentir bien, tout simplement ! Je connais trop de personnes qui, après visionnage, se sentent honteuses parce que le contenu de ce qu’elles ont regardé entre en dissonance cognitive avec leurs convictions. Il y a aussi des personnes qui questionnent la désirabilité de leurs propres corps, à force de voir des performers sélectionnés pour répondre à des normes physiques standardisées… Ou des personnes qui ont des anxiétés de performance après avoir vu 1001 prouesses à l’écran. Je trouve que lorsqu’on veut se faire du bien, c’est sympa de ne pas avoir un second effet kiss cool avec des émotions négatives, de la honte, une baisse de son estime de soi, l’impression de ne pas être normal-e ou assez performant-e. C’est pour ça que j’essaie de créer une pornographie qui donne avant tout envie de s’aimer.
J’adore cet éclairage sur ton art : le porno clitocentré par contraste au phallocentré nettement plus courant. Tu nous en dis un mot ?
On envisage trop les rapports sexuels hétéros à l’aune du phallus uniquement. Selon une vision du sexe hétéro très largement dominante, le rapport sexuel vise à obtenir une érection du pénis et s’achève quand il y a eu éjaculation. Je veux proposer une autre perspective, qui mette en vedette le plaisir féminin. Pourquoi ne pas recentrer les rapports sur ce qu’il se passe du côté de la femme ? Et là, comme par magie, le champ des possibles s’ouvre. Parce que pour faire du bien à un clitoris, il n’y a pas forcément besoin d’un pénis hyper gros et hyper dur, on peut utiliser les doigts, la bouche, il faut juste de l’attention et l’envie d’apprendre… Les rapports peuvent être beaucoup plus inventifs, plus longs, plus ouverts, plus réciproques et plus égalitaires aussi. Dans mes films, j’applique ce changement de perspective en mettant en héros le clitoris. Dans Une dernière fois, il n’y a pas une seule scène de sexe où il est oublié et j’espère que ça inspirera ! Les clitos n’attendent que ça : un peu d’intérêt et d’amour.
Photo : Géraldine Arestanu