Indubitablement complexe, rassurant, distant, et merveilleusement drôle à la fois, Joaquin Phoenix, 46 ans et né à Porto Rico, s’est fait connaître pour la première fois dans SpaceCamp en 1986. Sa carrière – avec en toile de fond la mort prématurée de son frère aîné River – lui a forgé une réputation d’acteur réfléchi, émotif et intelligent. Plutôt que de s’opposer à ce que son frère représentait – un garçon frais et net du divertissement pour ados des années 90 – Joaquin a suivi une voie cérébrale aussi naturelle que le charme léger et élégant de River.
« Nous avons toujours été très différents. J’étais le malheureux », dit-il en esquissant un sourire lent qui illumine des yeux autrement sombres. « Nous étions simplement des personnes qui réalisaient le même projet de manière différente. Qui sait où nous serions tous les deux aujourd’hui ? » souffle-t-il, faisant référence à la disparition de River à seulement 23 ans. À son regard, on sent qu’il ne se remettra jamais de la perte de son frère. « Il m’a toujours dit que je serai un plus grand, un meilleur acteur que lui, malgré les sommets qu’il atteignait. Dans tout ce que je fais, il y a une part de lui. » En effet, lorsque son premier enfant naît en septembre 2020, il le prénomme River.
Joaquin choisit ses projets de manière mesurée et réfléchie. Ces longues périodes, loin des feux de la rampe, ne s’achèvent que lorsqu’on lui propose un projet qui mérite un investissement total. C’est le cas du Joker de DC Comics en 2019, un rôle interprété avec maestria et récompensé par l’Oscar du meilleur acteur en 2020. C’est aussi le film classé R le plus rentable, avec plus d’un milliard de dollars au box-office. Fiché mainstream, le Joker va à l’encontre de Phoenix, heureux de se lancer dans des petits projets indépendants comme son nouveau documentaire The End of Medicine, qui explore le lien entre le traitement des animaux et les pandémies. Loin de la machine à cash hollywoodienne, Joaquin éclaircit l’horizon, ouvre le dialogue. C’est un philosophe, un penseur profond, un activiste et un philanthrope. Grâce à ses rôles d’ambassadeur pour des organisations comme Veganuary, PETA et In Defence of Animals, il est un partisan passionné des organisations qui protègent l’environnement.
Vous êtes un véritable activiste, comment cela se traduit-il, notamment à travers le Department of Peace ?
Comme expliqué lors de la cérémonie des Oscars, je pense beaucoup aux questions préoccupantes auxquelles nous faisons face collectivement. Parfois on sent, ou on nous fait sentir, que nous défendons différentes causes, mais moi, je vois des points communs. Que l’on parle d’inégalité entre les genres, de racisme, de droits des personnes LGBTQI, des personnes indigènes ou des animaux, nous parlons de la lutte contre l’injustice, contre la croyance qu’une nation, un peuple, une race, un sexe ou une espèce ait le droit d’en dominer, contrôler, utiliser et exploiter une autre en toute impunité. Je suis en effet très impliqué dans le Department of Peace, une organisation qui s’adresse aux principaux dirigeants politiques afin de stimuler le débat, sensibiliser au bien et aux projets positifs pour rendre le monde plus tolérant.
En quoi cela diffère-t-il d’autres initiatives similaires ?
Tout d’abord, nous avons le sentiment d’avoir une voix et de pouvoir exercer une réelle pression sur ceux qui ont de l’influence. Mais surtout, il s’agit de comprendre ce qu’est réellement un conflit, à savoir que c’est une condition humaine et animale naturelle et inévitable. Aussi naturel que l’amour et le rire. Il faut accepter le conflit, pour ensuite gérer la façon dont il se déroule, puis le résoudre de la bonne manière – c’est-à-dire autrement que par la force et la violence.
Vous êtes un cérébral, c’est un don ou une malédiction ?
C’est définitivement un cadeau. C’est un don d’être capable de théoriser sur l’univers – de regarder le ciel, les formes de vie, de s’intéresser à la science et à ce qui nous entoure, et d’imaginer la réalité de ce que nous sommes vraiment. Est-ce réel ? Tout cela est-il une simulation ? C’est aussi être conscient de ce qui nous entoure. Nous sommes de plus en plus déconnectés de la nature et nombre d’entre nous sont coupables d’une vision égocentrique du monde. Nous déambulons dans la Nature et pillons ses ressources. Je pense que nous avons peur du changement personnel car nous imaginons que nous devons sacrifier ou abandonner quelque chose. Mais les êtres humains, au mieux de leur capacité, sont si inventifs, créatifs et ingénieux. Je pense que lorsque nous utilisons l’amour et la compassion comme principes directeurs, nous pouvons créer, développer et mettre en œuvre des systèmes de changement qui sont bénéfiques à tous les êtres et à notre planète.
Comment avez-vous vécu votre expérience Joker ?
Le Joker du film se dévoile autrement, c’était une nouveauté pour tout le monde, mais le concept est dans ma tête depuis une décennie – c’est le temps qu’il m’a fallu pour venir à bout du projet. L’expérience de ce film est bien plus importante que les deux heures de cinéma qu’il représente finalement – pour moi, c’étaient les réunions, les retards, le doute, le soulagement. Contrairement à d’autres films dans lesquels j’ai simplement joué un rôle, Joker a été une véritable expérience qui m’a conduit au plus profond de moi-même, dans des recoins émotionnels difficiles à atteindre. Donc, sur ce coup-là, je dois dire que je m’accorde du crédit [rires].
Est-ce que jouer la comédie devient plus facile avec l’âge ?
Non, pas plus facile. Il faut se renouveler sans cesse, pousser les idées et l’exécution pour que les spectateurs ne se lassent pas. Devenir insignifiant ou ennuyeux est la pire crainte des acteurs. C’est en partie pour cela que l’on se lance dans des projets comme I’m Still Here – un film très éloigné de la réalité et une expérience que j’étais ravi de faire – mais qui montrait aussi que j’étais prêt au mélange des genres.
I’m Still Here était un grand moment de cinéma. Avez-vous craint qu’il ne vous affecte négativement en raison de la façon dont il a montré l’industrie et ses secrets ?
Si vous demandez si cela a affecté ma carrière en matière d’emploi, je suppose que nous ne le saurons jamais. Cela a certainement eu un impact personnel dans le sens où j’ai eu l’impression d’être libre et de faire ce qui allait m’émouvoir et m’inspirer. C’est uniquement pour cette raison que je suis acteur. La mise en scène était audacieuse, car une grande partie du scénario était ancrée dans la « réalité » des studios, même les spectateurs ne savaient pas qu’il s’agissait d’un film. C’était une expérience incroyable d’y aller et de ne pas pouvoir faire une deuxième prise dans certaines situations.
Êtes-vous satisfait de votre carrière ?
Il m’est impossible de juger mon parcours objectivement, je ne verrais que des choses à améliorer.
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