Né aux pieds du Corcovado dans le très résidentiel quartier de Laranjeiras, Oscar Niemeyer, le plus célèbre des architectes brésiliens, ne tarde pas à entamer des études à l’École Nationale des Beaux-Arts en plaçant sa formation sous l’influence du modernisme, oscillant de Ludwig Mies van der Rohe à Le Corbusier. Il ouvrira ainsi la route à plusieurs générations d’architectes faisant du Brésil une référence en matière architecturale.
L’Ovni de Niteroi
Passionné et convaincu, Oscar Niemeyer va jusqu’à travailler gratuitement pour l’agence de Lucio Costa, la seule au Brésil à insuffler l’esprit de Le Corbusier dans ses créations. Pourtant, cette inspiration est toute relative, en effet Niemeyer oppose son goût pour les courbes au style rigide et fonctionnel de l’architecte suisse. Considérant qu’une œuvre doit être « belle et légère », il déclare: « alors que l’angle droit sépare, divise, j’ai toujours aimé les courbes, qui sont l’essence même de la nature environnante. » Le modernisme, soit, mais sans oublier l’héritage baroque du Brésil et surtout l’œuvre de Pablo Picasso. Sa notoriété devient mondiale suite à sa participation à la création de la ville de Brasilia, capitale administrative du pays inaugurée en 1960. La dictature assombrit le ciel de Rio et c’est la fuite pour l’architecte de génie. Soutenu par André Malraux, il rejoint la France où il conçoit plusieurs édifices comme le siège du Parti communiste français, dont la silhouette et l’aménagement sont depuis très prisés pour les défilés. De Prada à Jean-Paul Gaultier en passant par Kanye West, tous sont tombés sous le charme de cette création exceptionnelle. Son talent et ses créations font le tour du monde, à l’image du siège du journal L’Humanité ou de l’auditorium et de la salle omnisports à Alger. De retour à Rio, il a notamment imaginé le Sambadrome Marquês de SapucaÍ, théâtre annuel du célèbre défilé du carnaval, mais aussi le Musée d’Art Contemporain, véritable ovni posé sur une falaise de Niteroi face à la baie de Rio. Cette structure ultra-futuriste achevée en 1996 projette le reflet de sa coupole en béton peint en blanc pur dans la piscine d’où elle semble fleurir. À l’intérieur, trois niveaux abritent une collection permanente dédiée aux artistes contemporains brésiliens, ainsi que des expositions temporaires aux thématiques fortes, comme dernièrement « l’art sous la dictature ». Dans ses mémoires, Oscar Niemeyer écrit : « quand je dessine, seul le béton me permet de maîtriser une courbe d’une portée aussi ample. Le béton suggère des formes souples, des contrastes de formes, par une modulation continue de l’espace qui s’oppose à l’uniformisation des systèmes répétitifs du fonctionnalisme international. » Si le marbre fut le matériau de prédilection des artistes de la Renaissance, c’est le béton que les architectes modernistes sauront modeler pour en dégager des formes organiques et grandiloquentes.
Une pyramide au centre-ville
En 1960, les autorités ecclésiastiques locales officient dans une cathédrale exiguë inadaptée à la population croissante de la ville de Rio devenue mégalopole. Elles décident alors de faire construire un nouveau sanctuaire qui devra être inspiré de la culture précolombienne et européenne. C’est à l’architecte brésilien Edgar de Oliveira da Fonseca que reviendra de tracer la silhouette de l’impressionnante structure de 96 mètres. À l’intérieur, la simplicité surprend et souligne la solennité des lieux. Quatre larges baies garnies de vitraux mosaïques guident les yeux jusqu’à la voûte formée d’une croix de lumière culminant à plus de 80 mètres. L’immense édifice religieux pouvant accueillir jusqu’à 20’000 fidèles sera inauguré en 1976 après douze ans de travaux. Représentative du mouvement brutaliste de l’architecture moderniste, la cathédrale Saint-Sébastien restera la création la plus emblématique de l’œuvre d’Edgar de Oliveira da Fonseca.
Les vagues pavées de Copacabana
C’est à Roberto Burle Marx, pauliste né en 1909, que l’on doit la célèbre promenade de Copacabana. Ultra-graphiques, ses motifs composés de pavés noirs et blancs convoquent la poésie en une douce alternance comparable au ressac de l’océan Atlantique qui la borde. Cette mosaïque légendaire fait partie de l’œuvre du paysagiste moderne, artiste multiple capable d’intégrer l’eau et la végétation au cœur des villes, de Berlin à Caracas en passant par Paris. C’est à Berlin justement, en visitant le Jardin botanique durant ses études qu’il entrevoit son destin. Fasciné par les plantes, il s’emploie dès son retour au Brésil à cueillir toutes celles qui foisonnent dans son jardin pour les imaginer transportées en d’autres lieux. En 1932, il compose son premier paysage pour une résidence privée élaborée par Lucio Costa. Cette création sera la première d’une riche collaboration avec l’architecte auquel se joindra Oscar Niemeyer. La promenade de Copacabana et ses vagues irrégulières s’étendent sur les quatre kilomètres que compte l’Avenida Atlantica et rappellent que Burle Marx était peintre avant de devenir paysagiste. Pourtant, en y regardant de plus près, les palmiers disposés en bosquets comme des remparts à la brise marine ne sont pas là par hasard… ils protègent les promeneurs du vent, du soleil et rafraîchissent l’atmosphère surchauffée de la mégalopole.
La baleine du port de Rio
Malgré le nombre de ses architectes talentueux, le Brésil a su attirer des pointures. On découvre ainsi, en surplomb de la baie de Guanabara, le Musée de Demain, bâtiment conçu par l’Espagnol Santiago Calatrava Valls. Architecte et ingénieur, mais aussi sculpteur, peintre et céramiste originaire de Valence, il termine ses études par un troisième cycle à l’EPFZ avant de répondre à divers concours. En1983, il remporte la conception et la construction de la gare de Stadelhofen à Zurich. L’architecte rafle ensuite un certain nombre de concours et fait sortir de terre des ponts, gares, auditoriums et musées à travers le monde entier. Le très impressionnant Musée de Demain à Rio de Janeiro a été inauguré en décembre 2015 par Dilma Rousseff.Consacré à la création de l’univers et à l’avenir de l’humanité, il étend déploie son immense silhouette sur 15’000 m2, rappelant un cétacé prêt à plonger dans l’océan. Un tiers de la surface est dédié aux expositions permanentes et temporaires, le reste est occupé par un auditorium pouvant accueillir 400 personnes, un bar, un restaurant, une boutique, ainsi que le « Laboratoire d’Exploration de Demain », espace réservé à des actions éducatives. Complètement en phase avec son époque, Santiago Calatrava Valls conçoit ses projets dans un cadre respectueux de l’environnement. Ainsi, le toit de l’édifice est pourvu de 5’492 panneaux photovoltaïques divisés en modules orientables suivant l’heure du jour, tandis que la climatisation est assurée par un ingénieux système de free cooling utilisant les eaux de la baie.
Le Christ du Corcovado
Mais que seraient le Brésil et ses monuments de béton sans une allusion au Christ Rédempteur. D’inspiration Art Déco cette fois, l’incomparable géant, perché au sommet du Corcovado, semble tourner le dos à Rio. Pourtant, c’est bien cette ville naissante qu’il protégeait à l’époque où sa taille réduite enclavait ses habitants dans l’étroitesse de l’ancien port, là-bas, derrière le Pain de Sucre. Il ouvre ses larges bras de 28 mètres d’envergure vers la ville historique depuis son inauguration en 1931. Du haut des 710 mètres du sommet qui l’accueille, il est l’œuvre conjointe de l’ingénieur brésilien Heitor da Silva Costa, du sculpteur français Paul Landowski et du roumain Gheorghe Leonida. Aujourd’hui, impossible d’ouvrir un magazine de déco sans y découvrir une création brésilienne. Les plus fortunés s’arrachent le talent de ces jeunes architectes. Biberonnés par Oscar Niemeyer ou Burle Marx, ils sont capables d’intégrer des structures de métal, de béton et de verre sans rompre l’harmonie d’une nature qu’ils savent préserver. Un héritage bâti sur près de 80 ans de créativité ininterrompue.