Dakar, accueillante et généreuse, bouillonnante, mais tristement polluée par le trafic routier. Il est 14 heures sur le Plateau, cœur battant de la ville, où se mélangent bâtisses coloniales et course à l’urbanisme. Le quartier compte de nombreux musées et institutions, il concentre les activités économiques, politiques, culturelles de la capitale Sénégalaise.
Si l’’entrée de l’immeuble est difficile à trouver, huit étages plus haut, la galerie-appartement climatisée offre un choc thermique et sonore salutaire. Ici règne la fraîcheur et le calme, loin du brouhaha et de la chaleur étouffante des après-midis dakaroises. J’entre chez Océane, elle habite sa galerie, ses grands-parents possèdent les deux derniers étages de cet immeuble classé Monument Historique du patrimoine Sénégalais. Loin d’être dépourvu de cachet, il offre une belle lumière aux œuvres exposées. Je me sens si bien, comme chez une amie, pourtant le professionnalisme d’Océane me rappelle que je suis dans une vraie galerie d’art contemporain.
Océane Harati est née en 1992 à Dakar, d’un père Libanais-Flamand et d’une mère Franco-Vietnamienne. Son arrière-grand-père paternel est arrivé à Dakar pour fuir le Liban. En pleine colonisation, les bateaux français ont débarqué tous les hommes célibataires au Sénégal – pistolet sur la tempe – pour tenir les comptoirs et fonder des familles. Sa grand-mère elle, était une aristocrate Flamande. Elle se sent totalement sénégalaise. Grande fan de la francophonie, elle a été bercée par Hugo et Camus. Elle ne se rend jamais en France, même si elle a la double nationalité, pourtant elle est émue lorsqu’elle entend la Marseillaise, même si, dit-elle, « s’il ne fallait garder qu’un passeport, c’est sans aucun doute le Français que je rendrais ». Éduquée à l’européenne, elle développe un art de vivre à la française un peu « franchouillard » comme elle dit. Elle adore le vin, le fromage et le saucisson. Océane a grandi entre un père musulman, une mère catholique et une grand-mère bouddhiste, « les fêtes religieuses nous les célébrions toutes ! »
Océane s’appuie sur ce melting pot culturel et religieux pour démarquer sa galerie, « cette richesse m’offre une meilleure compréhension du monde et m’oblige à m’engager ». Elle fait tout dans sa galerie, elle décroche et raccroche les tableaux à chaque exposition, imagine la scénographie – c’est d’ailleurs ce qu’elle préfère – « c’est comme si je décorai mon appartement tous les deux mois » dit-elle amusée.
Discussion …
Peux-tu me présenter ta galerie ?
L’objectif est de créer un lieu sublimant et présentant de la manière la plus juste la création contemporaine du continent africain en contribuant au développement et à la structuration du marché de l’art, particulièrement au Sénégal. Il faut faciliter l’acquisition. La galerie a développé une offre suffisamment large pour être à la portée de tous en rendant accessible des artistes reconnus de la scène internationale comme Aliou Diack ou Soly Cissé, mais aussi des artistes émergents comme Hako Hankson, Méné ou Sambou Diouf. Concrètement, je programme des expositions monographiques et collectives tous les deux ou trois mois.
Quelle est ta relation avec les artistes que tu exposes ?
Je fais un travail de médiation où les relations humaines sont placées au cœur de l’équation. Je me rends un dimanche sur deux en atelier pour instaurer un dialogue, un lien. C’est une des obligations que je me suis fixée pour donner confiance aux artistes et les convaincre du rôle primordial que jouent les galeries africaines pour les faire connaître chez eux et dans le monde, tout en veillant à leurs intérêts. J’ai une fonction d’agent auprès des artistes que je découvre et sélectionne. Ils disposent ainsi d’un suivi de leur carrière en Afrique et à l’étranger. Je n’ai pas encore les moyens de faire les foires, mais ça viendra avec le temps. D’ici là, grâce à des collaborations avec des galeries ou des institutions étrangères, je permets à mes artistes de participer à des expositions et des biennales.
Quelles sont les rencontres qui t’ont donné envie de faire ce métier ?
J’ai découvert le métier de galeriste en 2012 grâce à Claude Everlé, le fondateur de la galerie Antenna. Il a été l’élément déclencheur de toute cette aventure. En tant que jeune femme et petite collectionneuse, je ne me retrouvais dans aucun des modèles existants. C’est comme cela qu’est née Depuis que je me suis lancée, j’ai rencontré et découvert des acteurs africains pionniers du marché de l’art : Illa Donwahi qui a ouvert la Fondation Donwahi à Abidjan il y a plus de vingt ans, Marème Malong de MAM Galerie à Douala qui fait des merveilles en fonctionnant comme une fondation, Simon Njami que j’ai eu la chance d’interviewer et qui a véritablement propulsé la biennale de Dakar sur la scène internationale en 2016.
Peux-tu me présenter ta dernière exposition ?
La galerie accueille « Chaman », la première exposition individuelle d’Aliou Diack au Sénégal, un artiste qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Cette exposition représente un an de travail, c’est le temps nécessaire pour comprendre et découvrir un peintre pudique, talentueux, singulier qui invite la nature, voire même le divin, dans sa création. L’exposition retrace son parcours et marque un tournant. Ses œuvres oniriques et suggestives laissent place désormais à un trait plus affirmé, un dessin plus prononcé, une couleur plus présente et surtout une thématique engagée, sans équivoque. Proche de la nature, l’artiste a été profondément marqué par les incendies en Amazonie, de là a jailli un manifeste d’une infinie beauté tantôt poétique, tantôt torturé.
Par Célia Dumax