Association à but non lucratif créée en 2010 à Genève par le Dr Pierre Quinodoz (spécialiste FMH en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique) et le Dr Benjamin Gold (spécialiste en chirurgie viscérale, générale et traumatologie), 2nd Chance s’est donné pour mission de développer la chirurgie reconstructive dans les régions difficiles, notamment en Afrique. L’ingrédient clé de son succès ? La mise en place de compétences locales à travers la formation de médecins africains. Dialogue avec les fondateurs de 2nd Chance, ou quand excellence rime avec générosité.
Qu’est-ce-qui motive des médecins genevois à s’engager dans cette aventure ?
Dr Pierre Quinodoz : Lorsque j’étais étudiant en médecine, j’ai eu la chance de faire un stage de chirurgie plastique au Brésil avec le célèbre Dr Ivo Pitanguy. Chaque vendredi, il opérait gratuitement dans les favelas, il a été mon mentor. Étudiant, j’ai aussi exercé avec les Flying Doctors au Kenya. Ensuite, j’ai monté ma clinique privée à Genève et j’ai naturellement poursuivi les missions humanitaires.
Dr Benjamin Gold : J’ai étudié la médecine pour l’humanitaire avant tout. J’ai vécu plus de trois ans en Côte d’Ivoire où j’ai fait douze mois de volontariat dans la brousse et construit une unité chirurgicale dans un quartier populaire d’Abidjan. À mon retour, je me suis installé en médecine privée à Genève, en continuant en parallèle à accepter des missions de chirurgie de guerre pour MSF et le CICR. Intéressé par mon expérience de gestion de projets en Afrique, le Dr Pierre Quinodoz, un ami d’enfance, m’a proposé de fonder 2ndChance avec le Dr Marc Pechère, le Prof. François Chappuis et Caroline Miller. Je dispense à présent des formations sur la chirurgie du goitre dans l’est du Congo. Avec 2nd Chance, nous donnons aux médecins locaux qui opèrent – et qui ne sont à la base pas des chirurgiens – les outils pour le faire.
Comment 2nd Chance est-elle perçue par la population locale ?
PQ : Une majorité de l’Afrique est composée de cultivateurs qui vivent simplement. Leur vie n’est pas facile, mais ils ont de quoi manger et boire. Par contre, ils n’ont pas d’argent, donc quand il y a un accident au fin fond du Sénégal, il n’y aura pas d’opération. Soit on meurt, soit on vit mutilé, ce qui a pour conséquence l’expulsion du circuit : ne pas se marier, ne pas trouver de travail, ne pas aller aux champs. Notre objectif et de réintégrer ces personnes dans la société.
Comment choisissez-vous les patients qui seront opérés sous votre supervision ?
BG : Les campagnes de recrutement se font dans les zones rurales grâce aux radios locales, ou via les infirmières des dispensaires, mais le meilleur recrutement reste l’église. Nous avons vite été débordés, tellement de femmes ont un problème de goitre. Les médecins locaux réalisent un premier tri, puis nous déterminons quelles personnes obtiendront un bon résultat. Après l’opération, nous effectuons une campagne de suivi et allons jusqu’à retrouver une paysanne dans son champ afin qu’elle réponde au questionnaire de satisfaction !
Après quel processus les médecins africains deviennent-ils autonomes ?
BG : Un apprentissage intensif de trois mois est nécessaire aux médecins locaux pour opérer une thyroïde et il faut six à huit missions d’une semaine pour former un groupe. Nous devons reprendre avec eux la formation de base, des nœuds à la dissection de vaisseaux sanguins. Nous sommes aidés par un professeur de chirurgie local qui identifie les médecins à même de devenir rapidement autonomes.
Comment ressentez-vous les différences culturelles ?
PQ : Si vous opérez à 7h45 en Suisse, le patient est installé quand vous arrivez. En Afrique, c’est différent, si le chirurgien n’est pas dans la salle, il ne se passe rien. Quand l’anesthésiste arrive, il faut contrôler si le produit anesthésiant est là, si les instruments sont bien stérilisés. Tout prend du temps, il faut respecter les codes locaux ! Le plus difficile est de passer de l’efficacité extrême à laquelle nous sommes formés en Suisse à un autre espace-temps. Nous devons comprendre que nous ne sommes pas chez nous, la première règle consiste par exemple à ne jamais opérer pendant le Ramadan ou les élections.
À quelles difficultés un chirurgien suisse doit-il faire face lorsqu’il opère en Afrique ?
BG : Opérer sans climatisation par 35 degrés est très fatigant. L’accès au sang est compliqué, il manque des réserves d’oxygène. Nous travaillons donc avec des concentrateurs, mais sommes surtout dépendants de l’électricité et il faut donc s’assurer que le générateur fonctionne. Si ce n’est pas le cas, on annule tout. Par ailleurs, l’anesthésie est réalisée par des infirmiers qui ont appris sur le tas. Il y a plus de morts à cause de l’anesthésie que de la chirurgie. C’est pourquoi, nous voyageons toujours avec un anesthésiste afin qu’il dispense une formation. Dans certains cas, les pathologies sont à un stade très avancé, il faut s’adapter en retrouvant des techniques qui ne sont plus forcément utilisées en Suisse. Chez nous, on peut retirer toute la tyroïde et prescrire une substitution hormonale après l’opération, mais dans les régions où nous travaillons, ce n’est pas possible, on doit laisser une partie de la tyroïde pour maintenir sa fonction.
Disposez-vous de tout le matériel nécessaire ?
BG : Il manque des produits anesthésiques et des fils ou certains appareils comme des coagulateurs. Nous arrivons à nous débrouiller pour les compresses, on fait venir des rouleaux de tulle et on les fabrique. Certaines sociétés et cliniques suisses offrent du matériel. Nous achetons aussi les instruments, ils durent des décennies et nous utilisons aussi du matériel jetable, notamment les draps qui seraient impossibles à sécher pendant la saison des pluies.
Quels sont les projets de 2nd Chance pour 2021 ?
PQ : Développer davantage la formation en Afrique de l’ouest. Il y a peu de chirurgiens au Burkina Faso et au Mali. Notre objectif prioritaire est d’y remédier. Le deuxième projet consiste à former des chirurgiens plasticiens au Burundi et en Somalie. Nous croyons dur en les compétences des médecins locaux, comme le dit un proverbe touareg « ce que l’on fait pour les autres sans les autres, c’est contre les autres ».
Qu’est-ce-que votre engagement pour 2nd Chance vous apporte ?
PQ : L’impression de faire une vraie différence localement. Je me sens privilégié et j’ai la chance de détenir un savoir-faire transmissible, alors je transmets. Lors d’une mission au Congo où l’on opérait un enfant scalpé à la machette, une patiente m’a appelée de Suisse pour faire une retouche de botox. Ce sont deux aspects de mon métier qui se complètent et que j’aime, c’est un équilibre. Si je peux rendre quelqu’un heureux, cela me rend heureux.
BG : Je retire une satisfaction inégalable de ces années de formation dans des régions difficiles. Le retour humain est incomparable et l’impact mesurable immédiatement. En rentrant en Suisse, j’essaie de changer l’image de l’Afrique, d’en parler autrement. C’est le continent du futur dans lequel il faudrait investir à long terme !