Peut-on imaginer une existence entièrement construite sur une intense volonté de ne strictement jamais se prendre au sérieux ? Une carrière jalonnée d’immenses succès publics et, de plus, un amour, une proximité jamais démentie avec le grand public ? Car oui, Jean-Paul Belmondo fut, pour tout le monde, la star copain. Le mec avec lequel on avait envie de se taper la cloche, le pote de comptoir, le papa de substitution, le héros déconneur, le sourire éclatant, le nez cabossé, les lèvres épaisses, gourmandes. Pourtant, à bien y réfléchir, rien ne semblait destiner ce fils de bourgeois, d’artiste, de trôner tout en haut d’un star système qu’il n’a pas fréquenté mais qu’il a, pardon du peu, créée. Sa carrière fut scindée en trois parties bien distinctes. Analyse d’une carrière exemplaire :
Les années sérieuses
Fin 1959, dans une chambre de bonne, un cinéaste vaudois, hermétique à l’idée même d’être accessible à tous, filme sous toutes les coutures un ancien cancre du conservatoire (injustement conspué par le président du jury Marcel Achard considérant le fifrelin comme un désinvolte déconneur alors qu’il vient de remporter un triomphe dans une pièce) totalement inconnu entrain de bécoter la blonde androgyne Jean Seberg. Le film, sur le papier sinistre, devient cultissime et lance la nouvelle-vague, mouvement protestataire en rébellion contre le cinéma bourgeois dit de papa. A bout de souffle propulse le gamin, né à Neuilly en 1933 dans le confort, sous l’œil des sculptures du père, Paul, sur le devant de la scène. Claude Sautet, débutant, en fait l’antagoniste du monolithe Lino Ventura dans un polar d’une noirceur totale, Classe tous risques. Le gamin tient bon, renvoie avec une aisance déconcertante, capte la lumière avec sa gueule cabossée de boxeur amateur (autant de défaites que de victoires mais un bon direct du gauche selon les spécialistes). Le cinéma intello transalpin devine que le gus a du potentiel et l’embarque dans des films complexes, suivi par le grand Melville qui en fait un cureton dans Léon Morin. Le réalisateur, vaguement misanthrope, ne comprends pas comment son comédien peut autant déconner entre les prises puis enfiler la soutane et, en un quart de seconde, être ce personnage tourmenté devant les caméras. Car la force du gars ce n’est de jamais, strictement jamais, occulter une évidence. Jouer c’est… du jeu. Même devant l’imposant Jean Gabin, récitant au rasoir la prose du grand Audiard (pas aimable si on dévie d’un micro-centimètre des lignes écrites), sous l’œil au millimètre d’Henri Verneuil, Belmondo, à peine vingt-huit tickets, confirme qu’il en a dans le bide. Un singe en hiverpropulse, à jeu égale, deux comédiens, de deux générations à un niveau d’une exemplarité absolue. Délaissant pour de bon ses premières amours, la scène, le théâtre, l’homme se construit une carrière. Il lui manque le succès populaire. La rencontre avec son frère, son double Philippe de Broca va lui permettre d’accéder à un rang qu’il ne quittera plus jamais durant… cinquante ans. D’abord Cartouchepuis l’homme de Rio, le public adore son esprit libre. Mieux, les femmes lui trouvent un charme évident. Les hommes ont envie d’être lui, leurs épouses de se réfugier dans ses bras ; la quadrature du cercle est ainsi assurée. Intelligemment, avec flair, il oscille entre deux mondes. Clin d’œil aux super productions dirigées par des réalisateurs confirmées puis un pas de côté auprès de la nouvelle-vague afin de contenter tout le monde. 1965, il retrouve Godard et ses expérimentations avec Pierrot le fou(qui est rentrée lui aussi dans la légende), les louanges de la presse (les critiques de Le Masque et la Plumeont dû adorer) puis hop, s’envole pour un tour du monde avec De Broca dans une pantalonnade à très gros budget lui permettant d’assouvir son gout des cascades et des belles femmes. De Broca, pas bégueule en matière de casting, lui dégote la très helvétique Ursula Andress, ex. James Bond girl et, en cette année 1965, sans doute l’un des 3 plus belles femmes au … monde. Nez écrasé, gouaille de titi parigot, sourire extra-large, pectoraux en ciment, la nouvelle star du cinéma tricolore emballe la star féminine et ce malgré une compromettante alliance à son doigt. A 32 ans, l’homme a tout. La presse avec lui, le grand public, le succès, des propositions par palettes entières et une bombe sexuelle définitive à son bras. Pourtant, la volonté de ne rien céder se désagrège lentement. Une seconde carrière s’offre à lui, plus directement liée aux résultats en salles.
A lire dans l’édition hiver 2021 de LE MAGAZINE