
Comment surmonter un événement traumatisant qui bouleverse une vie ? Sentiment d’injustice et de haine pour certains ou adaptation pour les autres ? Où trouvent-ils cette force ? Dans la résilience, la capacité de se relever après un drame. Alexia Michiels[1], fondatrice du Resilience Institute Europe, a observé que « les compétences qui permettent de rebondir suite à des drames sont similaires à celles qui permettent de profiter de la vie pleinement et avec conscience : il s’agit de savourer le moment présent, d’avoir de la gratitude, de donner du sens à ses choix, de se connecter aux autres et de prendre soin de soi. Il faut avoir le courage de saisir les opportunités, de mobiliser son cœur, son corps, son mental et son esprit. Donner du sens à sa vie pour se relever. »
Vous aviez toutes les raisons de détester la Thaïlande. Pourtant, en 2005, vous créez la Fondation Jan & Oscar dont la mission est d’encourager la scolarisation d’enfants défavorisés. Jan et Oscar étaient en Thaïlande depuis 12 heures seulement et soudain, ils meurent. Pour moi, il y avait un côté absurde dans cette mort subite. Mes enfants étaient restés en Thaïlande. J’avais besoin de donner du sens à cela. Je n’aurais jamais pensé venir en aide à des enfants en Suisse ou ailleurs. C’est comme si cet accident avait ouvert une nouvelle voie. Après quelques semaines, j’ai choisi de me prendre en main, cette idée est apparue comme une évidence. Je pense qu’à tout problème il y a une solution. C’est une philosophie que je pratiquais déjà avant l’accident. La création de la Fondation m’a permis de m’accrocher à la vie et de remonter la pente. Même au fond du trou, il faut garder confiance en la vie. Il est préférable d’aller dans le sens des choses contre lesquelles on ne peut pas lutter, plutôt que de se rebeller et de se faire du mal. Lorsque je me suis sentie au bord du précipice, je n’ai jamais eu envie de sauter, même si c’était la solution de facilité. L’amour inconditionnel reçu de mes parents dans mon enfance a été exceptionnel et m’a donné des bases solides et les valeurs indispensables pour me battre.
À ce jour, une cinquantaine de projets ont été réalisés par la Fondation Jan & Oscar. Quel est celui qui vous apporte une connexion particulière avec vos enfants disparus ? L’orphelinat Sarnelli à Nong Khai dans le nord-est de la Thaïlande, c’est un projet qui a permis de tisser des liens très forts avec les personnes engagées sur place. Avec le Rotary Club de Pully, nous avons financé la construction d’une maison supplémentaire pour une vingtaine d’adolescents séropositifs ou sidéens. Dans ce lieu de vie, ils apprennent à devenir autonomes, à se prendre en main avec leur traitement médical.
Quels sont les challenges auxquels vous avez été confrontée pour mener à bien les projets de la Fondation ? On constate une situation et on arrive avec une solution découlant d’une pensée européenne qui nous semble être juste également en Thaïlande…mais on ne peut pas l’imposer ! Souvent, on est confronté au fait que nos idées tombent à coté et deviennent un obstacle. Il faut se réinventer et trouver une autre solution. C’est difficile d’offrir de l’aide à une personne qui n’en a pas demandé, il ne faut pas qu’elle se sente en situation de faiblesse. L’aide est bien perçue s’il n’y a pas de rapport hiérarchique. Pour que cela soit positif pour tous, nous devons fonctionner main dans la main avec les locaux.
[1] Auteur du livre “The Resilience drive” – “L’Élan de la Résilience”, Groupe Libella, août 2018
Il est parfois reproché aux personnes investies dans des projets humanitaires à l’étranger de ne pas agir plutôt en Suisse. Comment réagissez-vous à cette position ? Réaliser des projets d’aide à l’enfance en Thaïlande a du sens pour moi, mon histoire personnelle est naturellement liée à ce pays. C’est un choix, on ne peut pas aider tout le monde. Il faut respecter la décision de chacun et ce n’est pas forcément au détriment des autres ! On a tous été investis d’une mission, chacun selon sa sensibilité.
Pouvez-vous nous parler d’un projet en cours ? Suite au tsunami de 2004, une petite île de la mer d’Andaman a été complètement dévastée. Les Mokens qui y vivent – une minorité ethnique semi-nomade très pauvre aussi nommée « gitans des mers » – sont très mal considérés en Thaïlande. Lorsqu’ils ont été découverts après le tsunami, ils souffraient de malnutrition, étaient infestés par la vermine et mouraient de faim. La Fondation a alors construit une école sur cette île. Aujourd’hui, une première génération éduquée arrive en fin de cursus scolaire, pourtant les jeunes ne possèdent pas de carte d’identité, donc pas d’accès à la formation ni à l’emploi, ni même aux soins. La Fondation Jan & Oscar intervient aussi sur cette île pour offrir un avenir à ces jeunes, afin d’éviter que les filles ne se retrouvent dans des bars et les garçons à dynamiter les récifs pour pêcher. En observant leurs conditions de vie et leur environnement, l’idée est venue de leur proposer une formation professionnelle dans la gestion et le traitement des déchets. Les déchets plastiques augmentent chaque année en Thaïlande, au rythme de 12 % par an pour un total de deux millions de tonnes ! Quatre étudiants Mokens ont déjà appris à reconnaitre et à trier les déchets. Ils forment à leur tour d’autres jeunes. Ce projet, agréé par l’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature), a un impact environnemental, social, économique et éducatif. Environnemental puisque nous contribuons à éliminer le plastique dans la mer, social en donnant du travail à des jeunes sans papiers d’identité, mais aussi économique puisque nous donnons aux Mokens la possibilité de gagner leur vie à travers la gestion des déchets et enfin éducatif, puisque les jeunes déjà formés visitent les écoles pour enseigner aux élèves comment, à leur tour, traiter les déchets.
Par Yaël Bruigom
