« Peut-être est-ce l’histoire de quatorze personnes, écrivait Maurice Béjart en 1982, les survivants d’un cataclysme, qui attendent la mort au fond d’un bunker où l’on entend la terre trembler par moments : ils finiront par s’entre-détruire. Mais une autre humanité renaît, et la valse qui tourne est le départ d’un nouveau cycle de l’humanité », prophétisait-il dans ses notes d’intention de Wien, Wien, nur du Allein, spectacle chorégraphique en deux parties et un interlude.
Présenté en avant-première au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles par le Ballet du XXe Siècle en 1982, un mois avant sa création mondiale au Châtelet à Paris, Wien, Wien, nur du Allein est l’une des œuvres les plus marquantes du chorégraphe. Réglée sur les musiques de l’École de Vienne, la trame réunit Schoenberg, Alban Berg, Webern, Strauss, Haydn, Schubert, Beethoven et Mozart. «Vienne, un rêve, un espoir, une lente décadence, poursuivait Maurice Béjart, la mémoire d’un certain passé, Vienne, prisonnière de sa légende, Sodome et Gomorrhe d’un fleuve qui incarne la Valse, d’une valse qui tourne comme les planètes… »
Monument chorégraphique, Wien, Wien, nur du Allein n’a jamais été dansé dans son intégralité par le Béjart Ballet Lausanne. Et c’est dans un nouveau décor, conçu par Magali Baud, que Gil Roman le met en scène, dans ce Théâtre de Beaulieu transformé dont la compagnie a été privée depuis 2019. En imaginant Wien, Wien, nur du Allein comme la métaphore de la fin d’un cycle de l’humanité, Maurice Béjart murait quatorze survivants d’un cataclysme dans un bunker. Hasard ou coïncidence, l’Histoire le dira: quarante ans plus tard, la compagnie a découvert son œuvre dans son studio à Lausanne, la pandémie imposant ses lois, l’enfermement comme dernier espoir alors que tout autour rôdaient la peur et la mort… La reprise de Wien, Wien, nur du Allein par le BBL ne saurait toutefois être réduite à sa seule concordance avec l’actualité. Sa profondeur, sa richesse chorégraphique et sa construction musicale justifient simplement que ce ballet reprenne vie.