En des termes simples avec des phrases parfaitement ciselées, elle narre son enfance, la faim au ventre, la vie auprès de ses frères et sœurs, la désolante tristesse d’un père sévère s’étiolant dans l’alcool, la profonde mélancolie d’une mère fourbue par l’accumulation d’emplois multiples dans l’espoir de gagner de quoi subvenir aux besoins de sa progéniture. Une fois en âge de se servir de ses mains, de se fracasser les genoux à récurer les parquets et les tapis des gigantesques manoirs de trente pièces de « Monsieur » et de « Madame », la narratrice a tenté de garder intacte une dignité foulée aux pieds.
Près d’un siècle après la rédaction de ses souvenirs de femme de chambre, le récit démontre avec une effarante clarté l’asservissement des faibles par des nantis sans regard extérieur. Née à Cheyres près de Fribourg, l’ancienne domestique se livre à l’écrivain et historien Luc Weibel, petit-fils d’une famille qu’elle a servie. Leurs conversations ont donné lieu à l’ouvrage « Pipes de terre et pipes de porcelaine », publié la première fois en 1978. Les Éditions Zoé ont eu l’excellente idée de le faire paraître à nouveau. Un livre absolument passionnant de bout en bout sur l’esclavagisme moderne.
Éditions Zoé
Photo: Madeleine Lamouille (1907/1993)