Rencontre qui s’étire finalement sur plus d’une heure devant un thermos de thé à même le sol d’un salon clair avec vue superbe sur la tour Eiffel. L’échange fut bavard, passionné, éminemment sympathique, flirtant souvent avec le tutoiement, en totale opposition avec la noirceur des populaires romans de l’écrivain.
Présentez-nous votre dernier-né Les promises se déroulant dans le Berlin de 1939 ?
Ma première volonté, c’était d’avoir trois personnages principaux pour permettre d’offrir un triple regard sur l’époque et le régime Nazi. J’aimais bien l’idée de créer des individus un peu troubles, borderline, et de plonger dans un décor de ténèbres. Je les voulais ambigus tout en considérant qu’ils allaient suivre un apprentissage et découvrir l’ampleur de la noirceur du nazisme au fil de l’enquête qu’ils allaient mener ensemble. Tout en traquant un tueur, ils vont mesurer ce qui se trame en sous-terrain dans l’Allemagne de la fin des années 30. Un voyage au bout de l’enfer avec des protagonistes eux-mêmes noirs. Dans tous mes romans, mes personnages centraux sont toujours habités par le mal, cela permet souvent de comprendre les motivations et la folie des tueurs qu’ils traquent. Dans un tel univers, d’une grande noirceur, je ne me voyais pas lancer des héros immaculés.
L’un des trois (anti-héros) de votre dernier roman est un officier SS ! C’est audacieux, non ?
J’ai voulu imaginer un type aveuglé par la haine, par sa propre violence, son envie d’aller au combat, de repartir au front, de laver l’affront de la Première Guerre mondiale contre l’ennemi français. C’est un peu un profil exacerbé de l’Allemand moyen de l’époque, désireux de relever la tête face à l’Europe victorieuse du conflit 14/18.
C’est votre premier roman non contemporain. Quelle en est la raison ?
Ce qui ressort de ce livre, après avoir fait un long travail de recherche historique qui me faisait peur, c’est l’agréable sentiment d’avoir donné une matière pleine de surprises au lecteur. Longtemps, je rechignais avant de me lancer car j’avais un gigantesque travail d’une grande méticulosité à entreprendre. Quand vous écrivez un roman historique et que votre personnage s’assoit, vous devez savoir dans quel fauteuil, quand il prend un stylo, quel genre de stylo, comment est-il habillé à la fin des années 30. Le moindre mot est le fruit d’une recherche préalable. Je suis un écrivain de roman policier tout à fait fatigué de l’époque actuelle, les histoires d’ADN, de police scientifique, d’analyse de poils de moquette, moi j’en peux plus. Aujourd’hui, une enquête, c’est des flics derrière un ordinateur. Il y a une dématérialisation de l’enquête policière, alors que pour moi l’essence du roman policier, c’est un bonhomme qui sonne au porte, rencontre des gens, se balade dans les rues, pose des questions.
C’est Columbo en somme…
(rires) Oui, c’est ça qui est intéressant. Finalement, je me tourne vers l’histoire afin de retrouver ce grain particulier d’un point de vue romanesque, car la police scientifique, c’est très ennuyeux. J’en ai trop fait et ce qui était intéressant il y a vingt ans, ne l’est plus du tout maintenant. Le nazisme étant la quintessence du mal, c’est un sujet passionnant à étudier, à analyser. Pour un roman historique, tout y est source d’intérêt. Cela nécessite une vraie détermination pour mener à bien une enquête. Passer un coup de fil en 1939, c’était toute une histoire, quand vous devez voir quelqu’un, vous devez vous déplacer. De nos jours, vous avez toutes les infos à portée de main. J’ai d’ailleurs décidé de n’écrire désormais que des romans historiques. Mon prochain livre se déroule en pleine mode hippie des années 70, j’adore cette période. Il y a du boulot. De la recherche d’abord, puis une période de maturation de mes recherches afin d’échafauder l’histoire du roman.
Avez-vous une bible à laquelle vous vous référez durant la longue période d’écriture ?
Oui, j’ai un synopsis très détaillé qui me permet d’avancer en sachant exactement dans quelle direction tout en ayant une colonne vertébrale forte. Pour chaque chapitre, cela me permet d’apporter une révélation au lecteur afin de toujours susciter l’excitation. Parfois mes personnages évoluent, je m’écarte un peu du synopsis, alors je le réécris. Je le recale sur le nouvel axe.
Avant de commencer la phase d’écriture, vous avez déjà tout le déroulé de votre histoire ? Même la fin ?
Oui, surtout la fin. En général, quand vous écrivez un policier, l’essentiel c’est le mobile du tueur. Vous écrivez donc à l’envers. Quand vous avez le premier meurtre, c’est la fin de l’histoire. Pendant l’enquête, votre héros va remonter l’histoire afin de comprendre le mobile, retracer le passé du tueur afin d’expliquer ses motivations. Quand vous avez la fin d’un bouquin policier, paradoxalement vous avez le début : l’identité du tueur, son mobile, ce qu’il va faire, etc.
Allez-vous un jour proposer un roman purement fantastique ?
Non. Le plaisir du roman policier, c’est d’avoir des situations un peu surnaturelles auxquelles on va trouver des solutions naturelles. On me compare souvent à Stephen King mais je déteste ses bouquins. Ils traduisent une facilité à mon sens. Ce qui m’intéresse, c’est d’expliquer de façon rationnelle l’irrationnel.
Cela vous prend combien de temps pour écrire un roman ?
Environ une année complète. Le gros, c’est l’écriture. Les recherches et le synopsis sont assez rapides mais l’écriture, c’est clairement ce qui prend le plus de temps. Pour ne pas être englouti, j’avance conjointement tant dans les recherches que dans la rédaction du synopsis. Lorsque j’écrivais ma partie sur les anciens combattants, je faisais par exemple en même temps des recherches. J’allais chercher ce dont j’avais besoin.
Entreprendre des recherches sur la Seconde Guerre mondiale, il ne faut pas se planter. Il y aura toujours quelqu’un pour vous reprendre à la moindre erreur.
(rires) Non, il ne faut pas se planter.
Quelle est la journée type d’un écrivain de best-sellers ?
Je suis très cadré. Lever à 3h, écriture jusqu’à 8h, après il y a les enfants, l’école, du coup je redors, je repars en écriture de 10h à 12h puis déjeuner, puis je redors, ensuite dès mon réveil, j’écris jusqu’à la fin de l’après-midi. En fait, je dors plusieurs fois dans la journée car, au réveil, je suis en forme. Je fais partie des gens du matin, c’est là que je suis le plus clairvoyant et dynamique dans ma tête. J’ai donc mis au point ce système de m’accorder des siestes multiples et de me réveiller plusieurs fois. Vous savez, il y a le cliché de l’auteur qui s’isole dans une maison pour créer, moi je l’ai fait, mais très crûment, vous vous faites terriblement chier. J’ai besoin de revenir à la vraie vie, de voir des gens entre deux séances d’écriture afin de retrouver une certaine normalité.
Vous êtes toujours resté fidèle à Albin Michel. C’est assez rare dans le monde de l’édition, non ?
Je n’ai jamais quitté mon actuel éditeur. Bizarrement, j’ai envoyé mon manuscrit par la poste, je ne connaissais personne. Mais ayant eu une très bonne intuition, je me suis rendu compte qu’Albin Michel allait m’emmener loin malgré le fait que Gallimard, la série noire, me faisait de l’œil. Finalement, j’ai senti que ce n’était pas pour eux, Albin Michel avait une politique très moderne. En France, j’ai beaucoup de disciples, mais à l’époque, j’étais seul sur ce créneau (il bifurque sur un autre sujet). Tu sais, j’ai une vraie passion pour le Japon !
Oui je sais, vous avez sorti un livre de photos sur Tokyo.
Ma femme est japonaise, j’ai toujours été passionné par ce pays mais évidemment, ma passion n’a cessé de croître après notre rencontre. Hélas, étant bloqué à Paris depuis deux ans, je n’y vais plus, alors qu’avant je vivais la moitié du temps au japon, c’est mon deuxième pays. Je ressens là-bas une excitation que je n’ai plus en France. C’est comme une maîtresse, je suis très excité (il rit).
Dans votre livre sur Tokyo, vous êtes en effet visiblement très excité. Bondage, yakuza. Il y a ce qu’il faut avec des photos sublimes.
(rires) Ah bon ? Le thème, c’est une nuit à Tokyo. On y va crescendo. D’abord les petits bars, les restos puis au fil de la nuit, on arrive dans des limbes infernaux. J’ai rencontré un photographe et on a décidé de faire ce bouquin ensemble. Très esthétique, n’est-ce pas ? Et il sort quand ton magazine ?
Début décembre. Le thème c’est l’Elégance à la française.
Génial ! Tu as mon adresse privée maintenant. Tu me l’envoies quand ça sort ?
C’est prévu !
Tu reprends un peu de thé ?
Crédit photo : Patrick Siboni